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Marseille et les chrétiens d’Orient

Par Annie Laurent

Cette conférence a eu lieu le 10 mai 2011

Dans son exposé, Mme Laurent a fait le point sur l’état et les perspectives des populations chrétiennes aux lisières de la Méditerrané orientale, à la suite de sa participation à l’Assemblée Spéciale pour le Moyen-Orient du Synode des Évêques qui a eu lieu à Rome du 10 au 24 octobre 2010. La présence pour la première fois de tous les patriarches et évêques des différents rites orientaux était à remarquer, ainsi que l’aspect détendu et heureux de Benoit XVI au milieu des pères synodaux qui représentaient les chrétiens d’Orient répandus sur dix-sept pays. L’accent était mis sur la communion et le témoignage. Reprenant les grands chapitres du document de préparation du Synode (les Lineamenta du 8 décembre 2009), Annie Laurent a divisé son exposé en trois parties :

1) Situation des chrétiens dans le contexte des états musulmans.

2) Situation des chrétiens dans le contexte d’Israël.

3) Avenir des chrétiens au Moyen Orient.

En introduction, la conférencière a tenu à rappeler les différences de conception en Orient et en Occident de la relation entre le citoyen et la société. En Orient, tout citoyen appartient à une confession par laquelle il est inséré dans la société. Cela fait partie de son état civil. Cet aspect demeure essentiel et dans le cas du Liban où l’équilibre confessionnel des institutions est préservé par la constitution, cela évite qu’une confession s’impose aux autres. Cela aide par ailleurs à comprendre l’état de fait de certains Etats ayant une constitution, à première vue non confessionnelle mais en fait très subordonnée à la confession démographiquement dominante.

Situation des chrétiens dans les Etats musulmans.

La conférencière a rappelé d’abord le caractère totalisant de l’Islam, qui fond en un tout les aspects sociaux, politiques et religieux de la société musulmane. Par principe un Etat musulman ne peut être que confessionnel.

Le statut des « gens du Livre » (chrétiens ou juifs) est réglé par la dhimma. C’est l’hospitalité accordée par les musulmans au non-musulman croyant en Dieu, pourvu que celui-ci respecte la supériorité des musulmans. Le tribut est exigé : « Dieu demande aux musulmans d’humilier les gens du Livre » (surate 9,v29) . C’est un contrat léonin. De facto, la dhimmitude est largement appliqué aujourd’hui dans les pays musulmans à l’exception du Liban. Cela induit de nombreuses conséquences dans la vie sociale, y compris dans le choix privé, et dans la politique.

Les non-musulmans sont ainsi exclus de certains emplois publics (où même privés tels que gynécologue ou enseignant d’arabe), en particulier tous ceux liés à l’autorité de l’Etat : pouvoir exécutif, pouvoir judiciaire, etc. « L’islam domine, il ne saurait être dominé ». Elle a commenté les exceptions bien connues d’anciens ministres d’affaires extérieures de l’Irak et de celui d’Egypte où des raisons de poids soit au niveau international soit au niveau de l’équilibre interne conseillaient de confier ces charges à des chrétiens.

La dhimmitude a d’autres conséquences dans le domaine des mariages mixtes (interdiction pour une musulmane d’épouser un chrétien), de liberté de conscience, de la construction de églises…En fait la dhimma, même là où elle est officiellement abolie comme en Egypte, demeure toujours présente dans les structures et les modes de pensée de la société musulmane et exerce une pression psychologique au quotidien sur les non-musulmans. Annie Laurent donne en référence le récent récit de l’Archevêque de Bagdad dans le livre intitulé « Dans le piège irakien ».

Ces aspects ne sauraient être minimisés, ils s’enracinent dans un critère de moralité foncièrement différent du nôtre : « est non seulement licite, mais est bon tout ce qui favorise l’Islam ».

Situation des chrétiens dans l’Etat d’Israël

Le choix fait par l’ONU en 1948 d’établir l’Etat d’Israël a provoqué un profond traumatisme parmi le monde arabe et le Moyen Orient. La progression de l’opinion, au moins de certaines élites donnant la priorité dans les différents Etats à l’appartenance nationale (partis BAAS, WAF, etc) au tout Islam (frères musulmans) a été arrêté, voire a régressé depuis lors. L’Etat d’Israël en tant qu’état juif pour les juifs, donc état confessionnel a été le point de départ d’une progressive reconfessionnalisation de tout le Moyen Orient en opposition à l’idéologie sioniste. Les chrétiens des pays frontaliers furent souvent soupçonnés par les musulmans de connivence avec le nouvel Etat.

En Israël la confusion entre citoyenneté et judéité a été renforcé par les différences en termes des droits et devoirs entre juifs et non juifs (en majorité arabes). Dès le début, la position du Saint Siège a été prudente, eu égard aux communautés chrétiennes des pays musulmans, et les pères conciliaires au concile Vatican II, en 1965, s’adressèrent dans la déclaration conciliaire Nostra Aetate à l’ensemble des religions non chrétiennes dont, nominativement et dans des paragraphes spécifiques, à la religion musulmane et à la religion juive.

Le traité de reconnaissance mutuelle en 1993 entre le Vatican et Israël, fut assez diversement perçu par les chrétiens des pays périphériques qui demeurent blessés par les nombreuses injustices résultant des conflits à répétition. Ainsi ils peuvent montrer une attitude tout aussi hostile à l’égard d’Israël que leurs concitoyens musulmans. Dans le synode pour les églises au Liban (avec 400000 palestiniens chrétiens) en plein conflit le Bx. Jean Paul II désigna le Liban comme « pays otage du conflit » mais aussi comme « pays message ». Les chrétiens au Liban eurent, entre autres, à éviter toute apparence de protectorat israélien.

Les chrétiens en Israël sont pour la plupart d’origine palestinienne, et bien que citoyens israéliens sont exemptés du service militaire et souffrent de discriminations à l’emploi et d’ entraves à la libre circulation et à l’achat de terrains. Au niveau institutionnel, malgré le traité de 1993 de reconnaissance mutuelle entre le Vatican et l’Etat d’Israël et la création d’une commission mixte juridique et fiscale, les tracasseries administratives sont permanentes pour tout nouvel établissement ou simple amélioration et conduisent les différents dossiers au point mort.

Comment relever le défi posé ?

Le Synode a signalé la communion entre chrétiens et l’affirmation de l’identité chrétienne comme ressorts essentiels pour l’avenir des chrétiens au Moyen Orient. La conférencière a salué le courage des ex-musulmans convertis au christianisme qui exigent l’inscription de leur nouvelle religion dans le registre civil, passeport, etc.. Ne pas se poser en minorité chrétienne, mais comme communauté chrétienne, l’amélioration de la formation catéchétique, doit éviter toute psychologie de ghetto : le chrétien est pour tous, toute mentalité confessionnaliste doit être dépassée et il convient d’établir des relations de confiance entre les différents rites et confessions. La création de structures interconfessionnelles va dans ce sens et évite toute tentation hégémonique. Est prévue également l’extension de juridictions orientales propres en Occident, là où résident des communautés confessionnelles de rite oriental (ainsi est prévue l’instauration d’un évêché pour les catholiques de rite melkite à Marseille). L’enseignement plus complet des particularités juridiques et liturgiques des églises de rite oriental dans les séminaires de rite latin est également prévu. La définition de la date de la fête de Pâques fut par le passé une grande pierre d’achoppement pour l’unité des chrétiens. Surmonter ce point pour fêter tous la Pâque à date commune fut l’un des grands souhaits du synode. Symbole de ce souci d’unité : la création d’une fête commune à toutes les églises du Proche Orient, ayant comme invocation « Les martyres de toutes les églises du Proche Orient ». Enfin le Synode a porté l’accent sur le rôle protecteur de la Ste Vierge dans cette démarche de communion et de témoignage.