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Le principe anthropique : un débat physico-philosophique

Antoine LLEBARIA, ingénieur de recherche du CNRS au Laboratoire d’Astrophysique de Marseille, spécialiste du traitement des données en Astrophysique, s’est lancé pour nous dans une aventure passionnante en nous expliquant le « principe anthropique » d’une manière très pédagogique malgré la difficulté du sujet.

Cette conférence a eu lieu le 2 février 2010

Après une introduction historique, il nous parle des conséquences cosmologiques du principe anthropique (PA, de anthropos, homme), puis de la signification physique et philosophique des énoncés faible (weak antrophical principle ou WAP) et fort (strong astronomical principle ou SAP) du dit principe. Le PA énonce le lien existant entre la présence des êtres vivants sur terre et la structure physique de l’univers. L‘apparition du vivant suppose toute une série de conditions préalables qui ne peuvent se réaliser qu’à la faveur de certaines valeurs de divers paramètres, en particulier cosmologiques. Autrement dit, il y a un lien fort entre ces constantes, fixées dès l’origine de l’Univers, et la vie apparue 13,6 milliards d’années plus tard.
Historique

Ce principe ayant dans sa version forte une signification philosophique à consonance finaliste, le conférencier esquisse la notion de cause finale, ses implications et son rejet par le rationalisme. Prenant source dans sa propre expérience, Aristote (384-322 av. JC) distingue pour tout être et toute action quatre types de causalité (matérielle, formelle, efficiente, finale), soulignant que la nature atteint habituellement son objectif sans hésitations et de manière plus parfaite que l’artiste. St Thomas d’Aquin (1225-1274) s’appuie sur Aristote proposant diverses voies de « démonstration » de l’existence de Dieu dont certaines s’appuyant directement ou indirectement sur la cause finale. Descartes s’éloignant de ce cadre philosophique, niera la cause finale et ne s’intéressera qu’à la cause efficiente, la seule qui soit l’objet de la science. Côté astronomie, ce n’est certes pas directement l’anthropocentrisme qui est en cause, mais le géocentrisme. Après avoir considéré que la Terre est au centre de l’Univers pendant deux millénaires (Ptolémée), on y placera le Soleil (Copernic). En 1922 J. Kapteyn situe le Soleil hors du centre de la Voie Lactée. En 1923 F. Hubble montre que la nébuleuse d’Andromède n’appartient pas à notre galaxie, celle-ci n’en est qu’une parmi d’autres En 1997 les images du télescope Hubble montrent une densité de plus de 2000 galaxies dans un carré de moins d’une minute d’arc de coté (c’est un espace minuscule du ciel). Ces avancés observationnelles (de nature scientifique) ont contribué historiquement à mettre en cause le statut privilégié de l’homme dans l’univers (anthropocentrisme, problème philosophique). Les prémisses du principe anthropique viennent de R.H. Dicke en 1961 quand il montre que la valeur de la force de gravitation influence directement la durée de vie des étoiles, dans lesquelles se forment les principaux éléments chimiques des êtres vivants (du carbone au fer). Cela implique un certain âge minimal et maximal de l’univers (d’environ 10 milliards d’années, âge confirmé par toutes les études les plus récentes). Par ailleurs il faut constater que le « lieu d’observation » où nos sommes, possède de caractéristiques fort particulières (c’est-à-dire une habitabilité stable).

Conséquences cosmologiques du principe anthropique

Les 4 forces du modèle standard actuel (gravité, électromagnétisme, interaction forte, interaction faible) sont régies par des constantes respectives αG , α , αS , αW dont la valeur, ou les relations entre elles, se trouvent imposées par le principe anthropique faible. Un changement de valeur ou de rapport rendrait impossible la chaîne des évènements permettant l’émergence des êtres vivants tels que nous les connaissons. Voici les étapes de cette découverte. En 1974, B. Carter montre que seules les étoiles convectives à fort vent « solaire » peuvent donner des planètes telluriques riches en éléments chimiques, ce qui impose la valeur de la gravité G. En 1987, Barrow et Tipler montrent que si la valeur de αS était légèrement différente, tout l’Univers serait formé ou bien de di-protons ou bien d’hélium. La production de carbone impose également des conditions très particulières. Enfin d’après J.Carr, αW doit être voisin de αG puissance 4 pour que les supernovae puissent exploser et qu’il y ait eu 25% d’hélium à l’origine de l’Univers.
Conclusion

Y a-t-il une finalité dans l’Univers ? La physique ne pouvant reconnaître que la cause efficiente, doit se borner à délimiter les faits vérifiables : c’est-à-dire l’ensemble de contraintes cosmologiques majeures liées à la présence d’êtres vivants, c’est le principe anthropique faible. Le PA fort, d’après lequel l’univers aurait adopté ces contraintes pour pouvoir aboutir au vivant, suppose la notion de finalité. C’est alors au raisonnement philosophique de la justifier ou de la rejeter et d’en tirer les conséquences. Or parmi les divers systèmes philosophiques en présence, d’après le conférencier, ceux qui adoptent une dose minimale de « réalisme modéré » semblent les mieux armés pour aborder la question. (on entend ici par réalisme modéré : 1) une approche rationnelle aussi bien du comment, que du pourquoi, 2) une analyse sans préjugé de la notion de cause, et 3) le fait d’admettre notre aptitude à connaître l’objet, même si c’est imparfaitement, tout en reconnaissant la capacité, non exhaustive de nos modèles à représenter la réalité physique).