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La Maturité Affective

Conférence de Mgr Pascal Ide

Cette conférence a eu lieu le

Après une courte introduction, Pascal Ide définit les quatre parties de sa conférence :

1) une vision historico-géographique du sujet ;

2) la notion de sentiment ;

3) la condition « blessée » de notre affectivité ;

4) comment acquérir la maturité affective.

1) Description historico-géographique des points de vue au sujet des rapports entre l’affectivité et la raison :

Le conférencier met en relief le contraste entre la vision :

où le sentiment devient la mesure de toute action,

où l’intensité d’une relation est jugée d’après ce que l’on ressent,

où le principe du plaisir gère les choix,

où « vibrer, c’est l’essentiel »

avec les visions opposées :

où la sagesse prime

où l’on expérimente une certaine crainte ou mépris à l’égard des sentiments

où le sentiment est nié (p.ex. cas de l’hyper activisme dépressif où le stress, l’angoisse sont niés)

Schématiquement, il observe une bipolarité d’attitudes, d’abord géographique. L’Occident pendant des siècles a mis en priorité « la fidélité à l’amour jusqu’à la mort ». L’Orient a valorisé « la mort de l’amour, le nirvana ». Du point de vue historique, on remonte aux classiques gréco romains. Le conférencier met ainsi en opposition les épicuriens, dont la recherche du plaisir est la règle et les stoïciens, pour lesquels la passion est une pathologie. Ces façons de voir sont reprises au XVIIe siècle français, voir aussi au XVIIIe sous différentes formes. Avec Corneille et Racine, on en retrouve l’écho. Au paroxysme, la raison est érigée en déesse par les pères de la Révolution. Par contraste, le XIXe connaîtra l’apogée du sentiment avec le romantisme. Pascal Ide établit ainsi le contraste entre deux attitudes extrêmes : le « tout émotionnel, rien rationnel » et le « tout rationnel, rien émotionnel ».

2) Qu’est ce que le sentiment ?

Sans donner d’emblée une définition précise, Pascal Ide renvoie à la signification de termes très proches tels que l’affectivité et l’émotion et découvre dans le sentiment trois propriétés :

a) C’est une réalité que l’on subit

b) Le sentiment porte une information

c) Les sentiments sont une source d’énergie

Le sentiment apparaît soudain, et à ce titre est une réalité que l’on subit. Reconnaître un sentiment, c’est reconnaître que l’on est affecté. Il manifeste notre dépendance vis-à-vis des autres et de notre environnement. Parce qu’involontaire, il est moralement neutre.

Le sentiment nous révèle notre intérieur ainsi que l’emprise de l’extérieur sur nous. A titre d’exemple, la colère peut nous révéler un sentiment d’injustice, soit fait à notre égard, soit à l’égard de quelqu’un d’autre. La colère rend l’avocat plus convaincant. La crainte peut mobiliser toute l’ingéniosité de l’homme. Le désir de vaincre fait que le sportif dépasse ses limites. L’amour ou la haine affermissent la persévérance.

3) La condition « blessée » de nos sentiments :

Dans notre affectivité il faut considérer une triple dimension : psychologique, morale et spirituelle (on retrouve le parallèle dans la profondeur, la largeur, et la hauteur décrites par St Paul). Notre affectivité peut mal s’intégrer avec notre raison de par la blessure originelle qui affecte notre volonté et notre intelligence, écho de la transgression décrite dans la Genèse (le « péché originel »). Néanmoins la dimension psychologique contribue à enrichir la dimension spirituelle.

Le conférencier glose ensuite les effets de cette « blessure originelle » sur nos passions. Il importe de considérer les conséquences de cette « blessure », éveillée par la présence ou l’absence d’un bien sensible, assumée ou rejetée par la volonté (que la raison éclaire). Elle peut induire à une réaction par défaut ou par excès. Il commentera ainsi plusieurs exemples d’affectivité excessive.

- Les addictions, c’est-à-dire, ces passions devenues des habitudes stables, enracinées, et qui de ce fait diminuent d’autant le libre-arbitre, portent à une recherche toujours inassouvie de l’euphorie qu’elles procurent. Il cite l’alcoolisme, où des périodes de sobriété plus ou moins longues sont suivies de rechutes inévitables. Il remarquera que la reconnaissance de l’addiction représente déjà 50% de la guérison, et qu’un bilan périodique est indispensable, accompagné d’un suivi médical et psychologique approprié.

- La recherche de la joie jusqu’à l’excès, chercher à « se doper avec la joie », transparaît dans ce refus systématique de ce tout qui peut signifier tristesse ou douleur. On peut observer ainsi ces cas de « conquêtes amoureuses multiples et successives » sans lendemain.

- L’excès de tristesse est abordé dans son double versant : psychologique et spirituel. La tristesse psychologique apparaît souvent sous forme de fatigue, à distinguer de la fatigue proprement physiologique ou physique, bien entendu. Il note que le « français moyen » est toujours fatigué. Résultat d’un certain dégoût, ou aussi d’un manque de sommeil (pour les 20% de français dormant seulement 6h ou moins par nuit, le « rattrapage » de la fin de semaine est illusoire), cela conduit à des troubles émotionnels ou de caractère et aux difficultés de communication. Cette tristesse organique a son pendant spirituel qui revêt deux formes selon leur origine : vis-à-vis des autres ou de Dieu, à savoir 1) la jalousie où l’on est triste du bien de l’autre, et ceci jusqu’à la dépression ; 2) le dégoût spirituel (acedia en latin), pour tout ce qui concerne nos relations avec Dieu. A titre d’exemple, il montre comment on peut constater l’apparition d’une poussée de jalousie à la vue du brillant curriculum vitae d’un collègue du même âge que nous. Pour illustrer le dégoût spirituel, l’orateur rappelle l’origine de l’expression « chercher midi à 14 h » : la personne trouve des tas de choses urgentes à faire lorsque l’heure de prier arrive.

- L’excès de peur est à l’origine de nombreuses phobies. Ce sont des techniques de conjuration de ce que l’on considère comme un danger. Il fait remarquer que les troubles obsessionnels compulsifs ou « TOC » affectent jusqu’à 2% de la population en France. Ultérieurement dans son exposé, l’orateur reviendra sur l’excès de peur pour nous parler d’un effet pervers, la projection, c’est-à-dire l’appréhension en tant que danger réel, voire imminent, d’un danger imaginaire ou lointain.

- L’excès de colère débouche sur la violence. Il fait état de la triste statistique de 10% de couples où la violence conjugale est présente, sans autre différence entre classes sociales « que l’épaisseur des murs ». Ce désordre psychologique, avec ses manifestations cycliques, requiert à la fois une séparation des conjoints et un traitement psychologique qui ne doit pas être interrompu avant un vrai changement.

- L’excès d’amour apparaît dans les états dits fusionnels. La fusion place l’autre au centre de la vie, elle l’idéalise au point de ne pas supporter ses failles, elle refuse l’altérité ou les conséquences du temps qui passe. Or c’est seulement avec l’authenticité, lorsque le JE est bien posé, et que le TU est bien posé, le NOUS devient possible. L’excès est en fait une idolâtrie qui absolutise l’AUTRE et qui ne peut déboucher que sur la déception.

En concluant cette partie, Pascal Ide fait ressortir la différence d’approche utilisée chez l’homme et chez la femme dans l’évacuation des « zones » douloureuses de l’existence. Si le premier tache d’établir une distance entre lui et ses affects, ses émotions, la deuxième s’identifiera à ses affects et à ses émotions. Le conférencier évoque aussi la position des volontaristes, qui pensent pouvoir se tenir à l’écart par un effort de volonté, et celle des intellectualistes qui pensent rester bien dans sa tête (comme dans un refuge ?). Or quel que soit l’effort mis à la marginaliser, l’affectivité fait bien partie de la vie, c’est dans notre nature.

4) Acquérir la maturité affective :

Il est important d’affirmer que nous pouvons intégrer nos affections. Néanmoins cette intégration ne sera jamais parfaite. Le rêve de Descartes d’une maîtrise parfaite des sentiments par la raison demeure inatteignable.

Le conférencier classe les moyens qui peuvent nous aider à effectuer cette intégration en deux catégories selon qu’il s’agit de moyens psychologiques ou de moyens éthiques. Parmi les premiers, on trouve les méthodes de « communication non violente », qui évitent tout jugement de l’autre en sachant communiquer ce que notre sentiment attend. En fait, tout jugement découle d’un sentiment de sécurité. Il cite parmi d’autres moyens, sans trop les décrire faute de temps « l’hypnose ericksonienne », la « cohérence cardiaque » fondée sur une respiration profonde, particulièrement simple et efficace pour la maîtrise des sentiments de colère, le « EFT ». Tout cela vise à procurer un socle affectif stable.

L’effort de type éthique suppose le développement de la vertu, c’est-à-dire la décision répétée, et suivie d’effet, de maîtriser l’affectivité, tout en reconnaissant sa présence et en la prenant en compte. L’orateur a posé comme exemple l’apprentissage de maîtrise de la peur chez l’enfant (la peur du dentiste dans le cas décrit), en reconnaissant que la peur est là, mais sachant que la maîtriser demeure à sa portée. En définitive cela revient a ce que la raison reste maîtresse de nos actions en admettant nos sentiments, en les maîtrisant et même en trouvant en eux la force d’agir.

L’auditoire a suivi avec une attention et un intérêt croissants ce long exposé. Il était agrémenté et rendu incisif grâce à quelques courtes scènes illustratives, bien connues, issues de grands films classiques. Plusieurs questions et commentaires ont complété utilement cette vision pertinente de la psychologie humaine, d’une grande richesse. Elle a été fort appréciée par les très nombreux parents et éducateurs et qui ont commenté, encore tard dans la soirée, maintes idées mises en valeur par l’orateur.